BANQUES CENTRALES : INDEPENDANCE OU SOUMISSION ? - UN FORMIDABLE ENJEU DE SOCIETE
Introduction
Il est difficile, s'agissant de nos banques centrales, de ne pas parler de clef de voûte tant il est vrai que la grande crise des années 2010 les met sur le devant de la scène avec cette formule presque magique, d'organismes qui seraient «prêteurs en dernier ressort». Avec sa signification première: sans elles tout s'écroulerait. Et sa signification plus mystérieuse: quand plus personne, plus aucun acteur de la scène - pas même l'État - ne se dévoue pour pérenniser le roulement de la dette, il y aurait, en surplomb de la société, une entité appelée «banque centrale», qui pourrait empêcher l'écroulement complet du jeu. C'est cette idée de «prêteur en dernier ressort», idée de plus en plus souvent évoquée au quotidien, que le présent livre se propose de décortiquer.
Avec une démarche qui se veut proche de celle pratiquée par nombre de disciplines scientifiques: d'abord le refus du normatif, ensuite la seule volonté d'expliquer ce qui se déroule sous nos yeux.
Le refus du normatif en s'abstenant de toute considération morale sur tel ou tel choix effectué par tel ou tel gouverneur ou ministre des Finances. Et la volonté d'expliquer en observant les faits, tels qu'ils se sont déroulés. De ce point de vue, nous attacherons beaucoup d'importance à l'histoire qui, seule, permet de saisir l'enchaînement des faits dans toute leur complexité. Et une histoire qui doit remonter le plus loin possible dans le temps -à l'image de l'astrophysique qui tente de remonter le temps jusqu'au «big bang» de la création de l'univers pour comprendre la matière - ici pour expliquer ce que charrient au quotidien les banques centrales: la monnaie, l'échange, la dette, l'intérêt, etc.
Ces matériaux présentés et expliqués dans la première partie du texte sont ce qui permet à la clef de voûte d'assurer, plus ou moins bien, sa mission. Mais, parce que chargés d'une histoire complexe, ils ne permettront pas, en toutes circonstances, de garantir le fonctionnement efficace du «prêteur en dernier ressort»: d'où des crises, voire de véritables bifurcations donnant naissance à de nouveaux mondes.
Et le raisonnement pourra se dérouler en boucle: si les conceptions que se fait l'humanité de la monnaie, de l'échange, de la dette, de l'intérêt, etc. se modifient, ou si, beaucoup plus encore, l'humanité se trompe sur ces matériaux qu'elle a elle-même engendré, alors le fonctionnement des banques centrales sera lui-même modifié, et entraînera de nouvelles représentations, et surtout de nouvelles réalités économiques. C'est ainsi que pourra être expliquée cette immense boucle du XXe siècle qui passe de banques centrales relativement autonomes à des banques centrales qui ne le seront plus du tout, pour voir réapparaître en fin de siècle des entités considérées comme complètement indépendantes, avec toutes les réalités économiques et sociales qui vont lui correspondre et qui seront examinées. La clef de voûte est aussi ce qui explique et fait émerger l'architecture de l'édifice et le mode d'habitat ou d'utilisation qu'il autorise. En sorte que l'on pourrait utiliser la formule suivante: «dis- moi dans quel ordre de banque centrale ta vie est organisée et je pourrais te décrire l'univers social qui fait ton quotidien». De quoi aussi dire que les banques centrales constituent le «logiciel» ou le «système d'exploitation» d'un monde.
Voilà ce qui constitue le pari de ce livre.