LETTRES DE LA CREATION (LES)
Extrait
Or, loin de condamner le regard sur les milliers de créatures, cet instant de pure écoute, ou d'attention à la voix qui habite les mots alors prononcés, enseigne comment celui-ci peut, lui aussi, percevoir l'appel de l'ALEPH en chaque créature, même quand la détresse grandit.
L'unité cachée au plus secret de la création, celle dont le souffle anime Adam pour qu'il se lève et désire la connaître, ne demande jamais en effet de détourner les yeux des créatures, de déserter la terre et d'aspirer à une extase qui arracherait à un temps où les vies restent, si souvent, blessées et meurtries. Elle exige, au contraire, de revenir à elles et de les contempler dans sa trace.
La parole des prophètes dit avec force, en dépit des menaces mortelles qui, presque toujours, pèsent sur elle, cette proximité de l'ALEPH dans les mots humains. Proximité dont témoigne leur verbe impatient et tourmenté, sans répit, par la voix qui leur enjoint de dire combien l'exigence d'amour et de justice envers la faiblesse des créatures ne souffre aucune compromission avec l'installation, sereine ou passionnée, dans l'illusion de souveraineté.
Mais que signifie, pour une personne humaine, percevoir la multiplicité sensible dans la trace de l'ALEPH invisible ? Cela passe, semble-t-il, par un éveil qui, maintenant sur le qui-vive, proscrit la nostalgie et enseigne à penser et à sentir le renouvellement de chaque heure. Un éveil qui transforme celui qu'il touche, par la grâce de son appel, en descendant d'Abraham. Celui-ci quitta en effet son lieu natal et tout ce qui pouvait le retenir captif d'archaïsmes désolants. Sans même savoir où il allait, parce que la voix lui demandait de se lever et d'aller vers une terre promise, ou encore vers lui-même, il partit pour devenir une bénédiction pour toutes les familles de la terre.